Par Merwbrylla

Le bateau accosta lentement, avec un bruit mat sa coque heurta le quai de pierre. Il faisait nuit en Ishis et le personnel des docks était plongé depuis quelques heures déjà dans un sommeil des plus profonds. Pourtant aucun marin ne descendit ne sauta à terre afin d’amarrer le navire, un silence de mort régnait sur le pont, comme si la mort avait fait du bâtiment son domaine. Pourtant l’œil averti aurait remarqué un mouvement, comme une masse sombre bougeant lentement. Si l’observateur avait été plus près il aurait pu voir un homme, le visage ensanglanté, tentant en rampant de quitter le bateau, crachant du sang sous l’effort, si, enfin, il avait été plus attentif il aurait remarqué l’ombre qui s’avançait lentement vers le marin. Ce dernier eut un râle tandis que des larmes se mêlaient à son sang.

- Dieu quelle horreur… Comment de telles choses peuvent exister ?

Un pied vint abréger ses souffrances tandis que son crâne faisait corps avec le plancher. Un rayon de lune éclaira la scène, révélant aux cieux le visage du bourreau sans pitié. Bourreau oui, car ce terme n’existe pas au féminin, mais sous la lumière de l’astre lunaire se détachait maintenant parfaitement les courbes parfaites d’une femme, au traits fins et au teint pâle. Vêtue de rouge, un anneau écarlate à la main gauche, la jeune femme eut un sourire sans joie et s’avança sur le pont, chacun de ses pas résonnant dans le silence de la nuit. Un pied sur la rambarde, prête à rejoindre la terre ferme, elle s’arrêta, un instant, et leva son regard vers les cieux, regardant le ciel d’Ekarys.

- Me voilà enfin de retour…

Encore une fois ses paroles étaient sans joie, mais emplies d’une froide détermination. Elle sauta à terre, caressant au passage le sol. Tant de temps s’était écoulé depuis son départ de ces mêmes lieux, depuis qu’on les avait envoyé là-bas, en Azkenor, y conquérir de nouvelles terres. Bien des choses avaient changé depuis, oui, bien des choses… Elle avança lentement, sentant revenir bien des souvenirs. Elle n’était pas native d’Ishis, mais de Cadrienia, un petit royaume situé plus à l’Ouest. Un frisson la parcourut, elle fit une moue dégoûtée, n’arrivant pas à s’habituer à ses manifestations d’humanité.

Les lumières de la ville l’attirèrent comme les lanternes attirent les papillons de nuit, tout les chasseurs, toutes les bêtes sauvages sont attirés par la lumière, elle ne faisait pas exception. La ville… Son terrain de chasse pour cette nuit sans doute. Mais, contrairement aux fauves, elle savait parfois faire preuve de tempérance. Aussi, sagement, prit-elle la direction des bas quartiers, où, elle le savait, les disparitions ne se remarquaient guère tant elles étaient courantes. Elle entra dans la première ruelle, ombre et pleines d’odeurs. Elle n’eut pas à attendre longtemps avant que le premier gibier ne lui tombe dessus.

- Et beauté… Viens donc boire un verre avec moi !

Elle réprima un sourire sauvage, et, le visage le plus innocent possible, se tourna vers l’homme qui l’avait accosté. Un marin, sans aucun doute, vu son accoutrement et l’odeur de merlan qui se dégageait de lui. Elle eut un sourire charmeur et passa son chemin, non, elle s’était nourrie de marins tout le long de la traversée et leur sang était vicié par la mer. L’homme avait de la chance.

- Et bien ! Ne fais pas ta mijaurée !

Et accourant, il lui passa la main autour de la taille, lui arrachant un frisson de dégoût. L’homme eut un grand sourire, interprétant la réaction de la jeune femme comme du désir sans doute. Tant pis, pensa t’elle, ça serait un marin ce soir aussi.

Quelques minutes plus tard un homme se vidait de son sang dans une ruelle proche, et, la jeune femme releva la tête du cou du mort, révélant à la nuit ses dents encore ruisselantes de sang. Elle se sentait mieux désormais, et prête à explorer la ville. Saisissant le bras du marin elle s’en servit pour s’essuyer les lèvres. Elle se releva et reprit sa marche, elle pouvait désormais aller vers le centre de cette ville, elle devait apprendre rapidement comment rejoindre Cadrienia. Elle avait trouvé dans les poches de sa victime quelques pièces d’or que ce dernier n’avait pas encore pu changer en rhum et, hélant une voiture, prit place à son bord.

- Où puis-je me renseigner sur un long voyage dans ce pays ?

Son ton agressif ne surprit pas le conducteur qui, pointant du doigt un bâtiment dans les hauteurs, répondit doucement.

- A l’amirauté ma p’tite Dame sans nul doute, juste à côté du domaine de notre bon Seigneur Higan…

Elle hocha la tête, et glissa deux pièces dans les mains du bonhomme.

- Faîtes vite…

Sombres desseins ( 01 )

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