Arrivée en Adwyr (3)
Arrivée en Adwyr (3)
Adossée à un tas de bois dans une réserve, je repense à cette étrange journée.
Un garçon de
cuisine m’a donné du lait dans un grand bol en bois et la moitié d’une
miche de pain : « Pour toi et ton loup » et est reparti sans un mot de
plus. Il a d’abord fallu lui faire téter le lait en trempant mes doigts
dans le bol, mais très vite Ysa compris comment le laper. Elle dort
maintenant paisiblement contre ma cuisse, repue.
Toute la
journée, je n’ai pensé qu’à ce bébé loup. C’en était une obsession, je
voulais à tout prix que ce fragile petit animal survive. C’est le seul
être vivant qui me relie à ce passé dont je ne sais rien, à celle que
je suis et ne connais pas… ma seule famille. Je suis plus tranquille
maintenant, je pense que ce pari pour la vie est gagné ! A la douce
clarté de la lune, je la regarde dormir en souriant légèrement.
Il fait nuit depuis longtemps et je n’ai pas sommeil. Trop de choses se bousculent dans ma tête.
Ce réflexe que
j’ai eu, de sauter à la gorge d’un garde en armure trois fois plus
costaud que moi, armée de mon simple poignard…et sa réaction… cette
épouvante que j’ai lue dans ses yeux alors qu’il aurait logiquement dû
se débarrasser de moi d’un seul geste, tel un moustique…Pourquoi ? «
ses yeux » l’ai-je entendu dans un souffle…. Quoi mes yeux ?
Je les ai
observés dans le reflet de ma lame alors qu’il faisait encore jour. Je
n’ai rien vu que deux yeux violets, violet foncé… Cette couleur
aurait-elle une signification particulière ? Non… ça ne tient pas… le
seigneur a vu mes yeux lui aussi, et le marmiton… Je soupire...
Je sors à
nouveau mon poignard et me mets à jouer avec dans le noir… aussitôt des
flashes affluent des images arrêtées qui se succèdent de plus en plus
vite…du sang, beaucoup de sang, des gorges tranchées, un ventre ouvert
de part en part avec les entrailles qui… STOP ! Je ferme les yeux,
comme si cela pouvait m’empêcher de voir ces images qui me viennent de
l’intérieur. Il me faut user de toute ma volonté pour que ces scènes
s’estompent enfin. C’est moi qui tenais le poignard, je le sais… mais…
quand ? où ? pourquoi ? Qui suis-je ? QUE suis-je ? Je n’ose plus
m’interroger sur mon passé, sur moi-même, je ne veux pas que ces images
reviennent…
Il faudrait que je dorme mais le sommeil ne vient pas. Alors j’essaye de penser à demain.
Demain… demain,
une nouvelle vie dont je ne sais rien commencera pour moi. «
Présente-toi aux premières lueurs de l’aube au maître d’armes. Amalric
te trouvera une occupation » m’a dit le vieux seigneur. Audryg, c’est
ainsi que le cocher l’a appelé.
Demain je serai
Adrahien, et quoi qu’on me demande de faire, je m’en acquitterai de mon
mieux. Cet endroit me plaît… le blanc de la neige, le bleu du ciel, le
gris des rochers... J’aimerais rester dans ce royaume dont je ne
connais même pas le nom…