Pour un regard (1)
par Niabea
L’aube se levait à peine sur
Popstadt tandis qu’une ombre filait, longeant les murs avec silence,
s’arrêtant lorsqu’une patrouille carmine se faisait entendre. Le
mystérieux individu eut un reniflement de mépris : ces chiens
paieraient un jour d’avoir transformé l’ancienne Ekarystadt, autrefois
si lumineuse et si vivante, en ce taudis, des vices et de perversions
qu’était Popstadt… Pour l’heure ses pensées n’étaient guère tournées
vers la guerre et le jeune homme, s’enfonçant au cœur de la cité,
n’avait cure de tout ceci, seul son cœur dictait véritablement ses
actions. Lui d’habitude si posé, si précautionneux, voyait depuis peu
son esprit s’embrumer à la seule pensée d’une femme. Mais quelle femme !
Il
se jeta dans l’ombre d’un mur pour éviter une énième patrouille et prit
quelques instants pour respirer, reprendre son souffle dans sa course
folle. Un silence s’instaura tandis que les Carmins s’éloignaient au
détour d’une rue. Soudain, une clameur éclata non loin, les bruits de
bottes revinrent, venant de toutes parts. Montant sur un tonneau
l’homme grimpa le long du mur en plantant ses poignards dans le bois de
la charpente du bâtiment. Il n’avait à peine monté que quelques mètres
que trois soldats carmins apparurent, se postant sous lui, à l’affût du
premier bruit suspect. Ces derniers semblaient sur les nerfs tandis que
s’entendait au loin le fracas des armes.
Subitement un morceau
de mur se détacha, tombant avec un bruit sourd aux pieds de la
soldatesque. Passé le premier instant de surprise les gardes relevèrent
la tête. Les deux premiers ne virent qu’un poignard avant que celui-ci
n’éteigne la flamme de leurs vies, le troisième, sans doute plus
chanceux, ou plus habile peut-être eut un mouvement de recul, et, d’un
geste de sa lame, entailla le bras de l’inconnu. Ce fut la dernière
chose qu’il fit de sa misérable vie avant d’aller rejoindre ses
compagnons dans les limbes infernaux. L’homme mit un genou à terre,
grimaçant sous la douleur envahissant son bras. Il eut à peine le temps
de faire un bandage de fortune, que, déjà, les bruits revenaient
l’obligeant à fuir.
Il se remit donc à courir, cette fois sans
s’arrêter, jusqu’à son objectif, espérant que l’alerte ne serait pas
donnée avant qu’il ne soit arrivé à destination. Dans sa course
éperdue, il arriva bientôt au cœur d’une place où la plupart des
guildes et ordres d’Ekarys possédaient une auberge pour leurs membres.
D’un rapide coup d’œil il repéra l’insigne des Guerriers Oubliés sur
une imposante demeure. C’était le quatrième et dernier étage du
bâtiment qui intéressait l’inconnu. Prenant appui sur un bâtiment
voisin il grimpa d’étages en étages, profitant du peu d’espace libre
entre les différentes maisons. Ainsi parvenu au deuxième étage, il prit
quelques instants pour se reposer, il avait déjà perdu beaucoup de
sang, et refaisant son bandage provisoire, décida de faire fi de la
douleur pour atteindre les étages suivants.
Comme plus tôt, il
se servit de ses poignards pour grimper, lentement mais sûrement, la
douleur allant croissante à chaque centimètre parcouru. Enfin, en un
ultime et terrible effort, il parvint de son bras valide à se hisser
jusqu’au petit balcon du quatrième étage. Là, dans la chambre face à
lui, dormait paisiblement Adraylia d’Adwyr. Un rayon de soleil, l’un
des premiers à éclairer la cité, révéla le visage de l’inconnu. Si
quelqu’un l’avait aperçu en cet instant, il aurait été surpris de voir
le feu brûlant dans le regard de celui que l’on connaissait sous le nom
de Niabea Kjeldos…
Le jeune Tisseur avança lentement et, du
regard, tenta de percer l’obscurité de la chambre. Peine perdue la
fenêtre était presque opaque. S’appuyant sur la porte fenêtre il
constata avec surprise qu’elle n’était pas fermée. Poussé par un moment
de folie il entra. La chambre était dans un noir total, et le jeune
homme progressa pas à pas, prêt à tout pour ne pas réveiller la jeune
femme qu’il vénérait. Toute son attention concentrait sur son ouïe il
en oublia le temps passant. Quand soudain, il sentit une chose glacée
sur sa gorge. S’arrêtant net, il leva la main et toucha le tranchant
d’une lame.
Un filet de sueur parcouru son dos et il resta
immobile. Lorsqu’il tenta de prendre sa propre épée, le plus
discrètement possible, il sentit la pression s’accentuer et, gentiment,
renonça à son projet. Avec un sourire crispé - bien inutile dans le
noir de la chambre - il attendit ne voyant toujours goutte une
éventuelle réaction de son mystérieux vis-à-vis. Dehors, le soleil
commençait à envahir la cité, rejetant pendant quelques instants la
chape d’obscurité recouvrant Popstadt…