Sombres desseins ( 14 )
Ils étaient restés longtemps au bas de l'escalier, avaient
finalement échangé peu de paroles, mais enfin Niabea avait affiché un
visage plus confiant, retrouvant ses tics si charmants, se passant la
main dans ses cheveux même trempés. Alors que le soleil se levait, ils
regagnèrent leurs appartement, plus ensemble que jamais, rien ne
semblant devoir les séparer… et pourtant…
- Je… Je te rejoins plus tard…
Mais
qu'allait-il encore inventer, trempé, blessé et épuisé il fallait qu'il
s'en aille encore ! Décidément, malgré tout ce qu'ils partageaient
depuis maintenant près de deux ans, cet homme restait parfois un
véritable inconnu aux yeux d'Adraylia. Au diable ce soi-disant
amour-propre qu'il entretenait et qui frisait à l'instant présent
l'orgueil.
Se sentant reléguée une fois de plus dans un rôle
qui ne lui convenait ni ne lui plaisait, la jeune femme décida de
descendre prendre un bain au bassin pour se calmer. En cet instant,
elle regrettait la salle aménagée par Audryg du temps de son vivant
dans les sous-sols d'Adwyr autour de la source bouillonnante. Nulle
part ailleurs elle n'avait trouvé de bains plus agréables… Mais elle se
contenterait de ceux de Cadrienia, pour essayer de laver cet affront
fait par l'homme qu'elle aimait, et apaiser l'amertume et la colère
qu'elle sentait enfler au plus profond d'elle-même. Par chance elle les
trouva déserts, et en profita pour se vider l'esprit, gardant la tête
sous l'eau le plus longtemps possible.
Remontant vers les
chambres, elle fit un détour pour éviter celle qu'elle partageait avec
Niabea, sachant qu'il ne serait pas rentré. Elle préféra rendre visite
à Lälwina, heureuse de l'entendre chantonner à travers la porte. La
fillette n'avait pas perdu son éternelle joie de vivre malgré les
événements de la nuit, quel soulagement. Adraylia se sentait d'un coup
d'humeur plus joyeuse et se décida à préparer un réveil en fanfare pour
celui qui avait préféré dormir dans sa cellule plutôt que dans ses
bras… Lälw était ravie de ce divertissement, elle jeta le baquet d'eau
glacée sur son père adoptif et s'enfuit en riant.
Evidemment,
elle était trop jeune et insouciante pour le remarquer, mais la
guerrière n'avait pu ne pas voir le manque de réaction du jeune homme
aux cinq litres d'eau sur son visage, sa blessure à l'épaule qui
s'était rouverte et saignait, cet air hagard de celui qui était allé au
bout de ses forces pour se vider l'esprit…
Sans lui laisser le
temps de les reprendre, justement, ses esprits, Adraylia sortit sa
propre épée du fourreau qui pendait à sa taille et se campa devant son
amant, toute la colère qu'elle avait trop longtemps contenue revenue
d'un coup à la surface.
- Un entraînement, c'est ça que tu veux, mon grand ? Alors lève-toi, et en garde !
Un
regard à la porte suffit pour refermer le lourd verrou. Ils ne seraient
pas dérangés. De toute façon personne ne venait jamais dans cette
partie du palais.
Le jeune homme tardant à réagir, elle le redressa sans ménagement et lui fourra son épée dans la main.
- Je ne plaisante pas, tu ne t'en tireras pas d'un clin d'œil ou d'une pirouette cette fois. Et je me fiche que tu sois fatigué, ton ennemi n'attendra pas que tu sois en forme pour frapper.
Elle
ne voulait évidemment pas le blesser physiquement, mais il était temps
que cet homme arrête de vouloir sans cesse la protéger ou les démons
seuls savaient quelles fadaises !
Se sachant en meilleure
condition physique après les soins de Lälwina et le long bain frais,
elle tenait clairement la position du maître d'arme donnant une bonne
leçon à un élève indiscipliné. Dix fois il retint ses coups, refusant
de frapper une femme, sa femme, dix fois elle le poussa à bout pour
qu'enfin il réagisse, mettant dans ses gestes le peu d'énergie qui lui
restait. Mais Adraylia était dans son élément à l'épée, celle du
tisseur ne rencontrait que le vide tout au long de ce stimuli de
combat. Par trois fois elle lui refusa la grâce qu'il demandait,
jusqu'à ce qu'enfin il s'écroule, épuisé, étant cette fois réellement
allé au bout de ses forces.
- Ad…
-
Non ne parle pas, écoute-moi pour une fois. Un danger menace et toi tu
te conduis en gamin écervelé, il est temps que tu te reprennes,
serviteur de Mystra ! Nous sommes une famille, mais bien plus, nous
avons la chance que soient réunis en nous trois tout ce dont nous avons
besoin pour repousser efficacement tout type d'ennemi qui pourrait se
présenter à nous… si seulement nous voulons nous en donner la peine et
si les préjugés d'un cureton d'un autre temps ne viennent pas se mettre
en travers de notre chemin.
Tu veux défendre les tiens ? Alors il est temps que nous commencions les entraînements, tous les trois
- …
- Oui, tu as bien entendu, Lälw aussi. Elle a un savoir faire dont nous avons besoin, et surtout, je ne veux pas que cette enfant reste sans défense au cas où il nous arriverait quelque chose à tous les deux.
Elle s'approcha de lui et s'accroupit à son côté, plongeant à nouveau dans le regard de cet homme qu'elle n'arrivait pas toujours à comprendre, puis se releva d'un bond, lui tendant la main avec un sourire, le premier depuis qu'elle était entrée dans cette pièce.
- Allez, debout fainéant, avant toute autre chose, un bain s'impose !