Nouvelle vie (18)
---- Adwyr, trois semaines plus tard ----
De
par sa situation au cœur d'une nature belle mais sauvage, il n'était
pas rare de voir se présenter aux porte d'Adwyr des personnes seules ou
en petit groupes, sales, affamées et frigorifiées la plupart du temps,
en quête d'un repas chaud et d'un endroit où se reposer à l'abri de la
neige et des bêtes sauvages. Adraylia qui n'avait pas oublié dans
quelles circonstances elle-même était arrivée ici bien des années plus
tôt, était particulièrement stricte sur ce point : toute personne
demandant l'hospitalité en son royaume devrait être accueillie, quels
que soient son aspect, sa race ou sa provenance. Des bâtiments avaient
même été construits pour ces voyageurs égarés, hostelleries offrant
gîte, couvert et vêtements chauds pour une ou deux nuits, la plupart
poursuivant ensuite leur chemin.
Certains cependant demandaient à rester, souhaitant s'établir au pays.
C'est
ainsi que quelques années après la mort d'Audryg, Adraylia avait reçu
une délégation de géants, orcs et trolls des montagnes à la recherche
d'une terre où ils pourraient vivre, d'un royaume qu'ils pourraient
servir. Ce peuple avait été pourchassé en raison de son physique
différent, jugés sur les actes de certains de leurs congénères, ils
étaient condamnés par avance où qu'ils se présentent. Dans un royaume
qui comptait à l'époque un très petit nombre d'habitants, Adraylia les
avait accueillis, leur offrant des terres et une raison de vivre. Elle
ne l'avait jamais regretté, ce peuple était devenu son peuple, vivant
en harmonie avec les autres races du royaume, entièrement dévoué et
bien loin de la barbarie qu'on lui prêtait… ce qui lui avait d'ailleurs
valu de la part de son frère le surnom de "petite sœur puante"…
- Assez, je n'en peux plus.
Sortant de ses pensées qui l'avaient emmenées bien loin de l'entraînement auquel elle assistait, Adraylia fit signe à Anthors le maître d'armes de poursuivre avec les autres jeunes recrues et s'approcha du jeune homme qui venait de se laisser tomber au sol, lâchant son épée.
- Tu t'appelles Vardiac, c'est exact ? Tu es arrivé il y a trois jours et souhaites t'établir en Adwyr, tu aimerais servir dans l'armée m'a-t-on dit…
Il lui répondit d'un
simple signe de tête affirmatif. Cheveux mi-longs, de grande taille, il
pouvait avoir une quinzaine d'années et possédait une musculature
développée, visiblement, comme beaucoup il pensait que cela suffisait
pour savoir se battre, le maître d'armes venait de lui démontrer en
quelques passes bien plus efficacement qu'avec un long discours qu'il
n'en était rien… Il paraissait en effet épuisé par ces quelques minutes
de combat, suant à grosses gouttes.
Adraylia sortit sa propre épée du fourreau.
- Au combat, on n'abandonne jamais. Que crois-tu que ferait ton ennemi en te voyant lâcher ainsi ton épée ? Ramasse-la et relève-toi !
- Mais…
Le visage du garçon manifestait tout à la fois la gêne et une certaine mauvaise volonté, ses yeux restaient fuyants, balayant le sol alentour (ça commence mal, mon gars…). Adraylia fronça les sourcils, lui appuyant légèrement la pointe de l'épée sous le menton, afin qu'il relève la tête
- Regarde-moi quand je te parle. Si tu veux rester ici, il va te falloir apprendre certaines règles de politesse élémentaires semble-t-il. Je t'ai demandé de prendre ton épée en main et de te mettre debout.
Rougissant
de se voir ainsi pris en faute et sermonné devant tout le monde, le
jeune homme se hâta de faire ce qu'on lui demandait. Face à lui, la
guerrière exécuta une série de gestes simples avec son épée, d'abord
très lentement, puis en enchaînant les quelques figures à vive allure,
replaçant ensuite l'épée à son côté.
- Tu as bien vu ? C'est le salut à l'épée de l'armée d'Adwyr. Considère qu'il s'agit de ta première leçon, tu vas t'entraîner à le réaliser et te présenteras de nouveau devant Anthors dans une semaine. Il décidera à ce moment si tu es prêt à suivre tes premiers cours au maniement des armes.
Voyant qu'il allait prendre la parole pour la remercier, une lueur de reconnaissance dans le regard, elle le coupa d'un geste.
- Je n'ai pas terminé. Demain à l'aube, un groupe de bûcherons s'en va pour six jours dans une de nos forêts occidentales. Tu l'accompagneras, te mettant au service d'Amygloth qui est responsable de ce détachement. Chaque Adwyrien et Adwyrienne reçoit une formation aux armes afin de pouvoir se défendre en cas d'attaque, mais il faut aussi participer à la vie du pays, de nombreux métiers ont besoin de bras et les soldats doivent savoir faire autre chose que se battre. Comme tous les jeunes du royaume, tu partageras donc la vie de ces bûcherons quelques jours.
Au
fur et à mesure qu'Adraylia parlait, le jeune homme qui lui faisait
face affichait une mine aux expressions changeantes, tour à tour
interrogateur, puis vexé, pensant visiblement avoir reçu une punition,
il était maintenant pensif, assimilant ces règles de vie qui étaient
nouvelles pour lui.
- Tu peux aller aux bains. Tu iras ensuite voir Amygloth qui te donnera d'autres explications sur ce qui t'attend les six prochains jours. Si as des questions à me poser, je serai dans mon bureau après le repas de la mi-journée, Tonio te guidera si besoin, il connaît cet endroit par cœur.
Pour ces derniers mots, elle avait abandonné ce ton de commandement froid et impersonnel, gratifiant le garçon d'un sourire auquel il répondit par un
- Bien, Madame, je le ferai.
assorti d'un salut maladroit mais appliqué avant de s'éloigner en direction du vestiaire.
(un peu brut, mais on pourra en faire quelque chose…)
- Moi aussi je veux faire le salut à l'épée. J'ai bien regardé, je saurai faire… Oh Adraylia, je peux ? Tu m'avais promis de m'apprendre !
- Lälwina…
Adraylia
se retint de prendre la fillette dans ses bras pour l'embrasser, elle
n'aurait sûrement pas apprécié, devant les jeunes recrues qui
s'entraînaient, elle se contenta donc de lui sourire.
La fille
adoptive de son bien-aimé était arrivée hier en Adwyr avec Niabea qui
avait hélas dû repartir immédiatement et la lui avait confiée pour
quelques jours. L'enfant était vive et d'un naturel enjoué. Elle avait
déjà su se faire apprécier en si peu de temps d'une bonne douzaine de
personnes… tous ceux qui l'avaient croisées en fait.
- Puisque tu es là, c'est donc que tu es levée… Et tu as déjeuné on dirait
, ajouta-t-elle en essuyant du doigt la moustache blanche laissée par le bol de lait avalé peu avant par l'enfant…
- Viens avec moi, on va trouver quelque chose à ta taille.